Cnuced, un rapport choc des Nations unies

Le rapport 2012 de la conférence des Nations unies sur le commerce et le développement démontre la nocivité des politiques de rigueur publique et salariale au sein de l'UE et alerte sur les conséquences globales de la récession en Europe. Selon Pierre Khalfa, de la Fondation Copernic : "Ce modèle conduit à la catastrophe."

Entretien.


Êtes-vous surpris qu’un organisme 
de l’ONU alerte ainsi sur les risques 
de l’austérité ?


Pierre Khalfa. C’est une bonne nouvelle parce qu’au niveau européen les classes dirigeantes, qu’il s’agisse du patronat ou des responsables politiques, n’ont jusqu’à présent rien appris de la leçon des années 1930. Que certains commencent à s’inquiéter de voir le mur s’approcher est une très bonne nouvelle.


Est-ce un signe que le modèle 
européen est considéré comme 
erroné dans le reste du monde ?


Pierre Khalfa. C’est surtout un modèle qui risque d’amener le monde à la catastrophe. L’Europe est l’une des principales zones économiques au monde, avec la Chine et les États-Unis. Il est clair que, si elle entrait en récession prolongée, cela aurait des conséquences sur l’ensemble de la planète. Les économies sont totalement interdépendantes les unes des autres. Le fait que des pays à l’extérieur de l’Union européenne commencent à s’inquiéter sérieusement de ce qui est en train 
de s’y passer n’est pas étonnant.


Le rapport de la Cnuced met l’accent sur l’austérité salariale…


Pierre Khalfa. Austérité budgétaire et salariale sont liées ! La logique actuelle, celle que veut sanctuariser le pacte budgétaire, consiste à couper massivement dans les dépenses publiques et à réduire globalement la demande exercée par les ménages, avec l’idée qu’en réduisant la demande interne, on pourra retrouver de la compétitivité, exporter et retrouver de la croissance. Le problème, c’est que cette idée qui pourrait, à la limite, être économiquement compréhensible si elle était appliquée dans un seul pays, devient totalement absurde quand tous les pays l’appliquent en même temps dans une Europe intégrée où les clients des uns sont les fournisseurs des autres. Non seulement une telle orientation entraîne une stagnation économique, voire une récession, dans le pays concerné mais elle crée la contagion dans les autres pays au travers des mécanismes du commerce extérieur. Si tout le monde fait cela en même temps, le résultat est connu d’avance : la récession généralisée comme cela commence à se constater aujourd’hui. Même l’Allemagne est touchée : une grande partie de son PIB provient des exportations vers les autres pays européens. Mais où exportera-t-elle quand les autres pays ne pourront plus importer ? L’idée que l’on puisse avoir une relance de la croissance par la compétitivité et une accélération de la concurrence entre les États est complètement stupide !


Ce rapport d’un organisme des Nations unies peut-il avoir une influence sur l’Union et les gouvernements européens ?


Pierre Khalfa. J’en doute. Il est bien que ce rapport existe, mais ce qui pèsera, ce sera la mobilisation des citoyens, des salariés, pour créer le rapport de forces nécessaire, notamment contre la ratification du pacte budgétaire. Il y a eu déjà un grand nombre de rapports, même de livres de prix Nobel comme Krugman ou Stiglitz, et non seulement des « économistes hétérodoxes » mais des gens qui viennent de l’establishment, qui ont dénoncé les politiques d’austérité. Cela n’a amené strictement aucun changement d’orientation. Il faut certes mener la bataille idéologique et ce rapport sera utile pour délégitimer les politiques menées, mais la clé sera la mobilisation populaire.

Extrait de l'Humanité.

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