Coke en stock à Anvers et Bruxelles
Ces derniers temps, des faits divers tragiques et inquiétants attirent notre attention. Dans certains quartiers de Bruxelles, des règlements de compte sur fond de trafic de drogue se règlent par des fusillades et font des victimes. Il est clair que ces faits font les choux gras de la droite et de ses médias, qui ne manqueront pas de les instrumentaliser pour justifier une augmentation de la répression.
Chnouf et cash à gogo.
En 2023, 121 tonnes de cocaïne ont été saisies au port d’Anvers, soit huit fois plus qu’en 2013. Au prix de 50 euros le gramme, la saisie est estimée 6 milliards d’euros. Cette estimation est minimaliste, car la cocaïne est généralement allongée avec d’autres substances pour gonfler sa quantité. Si on tient compte que les saisies ne concernent que 2% des 12,5 millions de containers en transit dans le port, la quantité totale est donc largement supérieure. Selon une estimation, le chiffre d’affaire de la coke en Belgique avoisinerait 55 milliards d'euros, soit le budget annuel prévu pour nos pensions en 2024. Le port d’Anvers est devenu un monstre qui s’étend sur une superficie de 130 km², comprenant 160 km de quais dont il est très difficile de contrôler tous les accès. Dans ces conditions, les mafieux peuvent facilement pénétrer dans les installations portuaires pour soudoyer le personnel. Un docker qui accepte de déplacer un conteneur à un endroit bien précis fixé par la mafia peut recevoir une commission qui peut atteindre 100.000 euros. Les travailleurs qui refusent de se soumettre sont menacés ou intimidés.
Drogues et Pauvreté
La situation à Bruxelles ressemble de plus en plus à celle de Marseille ou le trafic de drogue est actif depuis les années trente. Le célèbre film French Connection a illustré l’activité de la mafia marseillaise dans la production de l’héroïne a destination des USA. Au-delà de la came, du pastis et de la bouillabaisse, Marseille est connue pour son taux de pauvreté qui touche 26% de sa population et atteint 50% dans certains quartiers défavorisés.
A Bruxelles, il est clair que le trafic de drogue est facilité par sa proximité avec le port d’Anvers. Mais il s’explique également par un taux de pauvreté qui dépasse celui de Marseille et atteint 28%, contre 8% en Flandre et 15% en région wallonne. Aujourd’hui, 3 bruxellois sur 10 vivent sous le seuil de pauvreté. Outre l’inflation, cette évolution n’est pas étrangère à l’explosion des loyers. Dans ces conditions, les trafiquants ont facile à recruter du personnel à leur botte qu’ils paient pour surveiller leurs points de vente, conditionner la drogue ou la dissimuler. En France, ce trafic génère 21.000 emplois à temps plein.
Véritable chancre du capitalisme, le trafic de drogue plonge ses racines dans la précarité et l’exclusion sociale. Dans une société basée sur le consumérisme, où le verbe paraitre se conjugue à tous les temps, l’argent facile suscite aisément des vocations parmi les exclus. Dans les bidonvilles de Nairobi ou de Manille, dans les favelas de Colombie ou du Brésil, dans les township d’Afrique du sud ou les banlieues défavorisées, la relève des barons de la drogue est assurée.
Le trafic de drogue n’implique pas que la mafia. A la fin des années 90, au USA, la société Perdue Pharma a commercialisé l'oxycodone comme anti-douleur. Outre son effet analgésique, l’Oxycodone est dérivé d’une synthèse de l’opium qui en fait un produit extrêmement addictif proche de l’héroïne. Purdue Pharma a engagé des centaines de « visiteurs médicaux » pour convaincre les médecins de diffuser ce produit au-delà de son domaine d’application initial destiné à combattre la douleur. En vingt ans, l’Oxycodone a causé la mort de 500000 personnes (64000 en 2017). Parallèlement les bénéfices de Perdue ont atteint 35 milliards de dollars en 2017 et la fortune de la famille Sackler qui contrôle l’entreprise est évaluée à 13 milliards de dollars.
Selon l'Office des Nations Unies contre la Drogue et le Crime, les revenus générés par le trafic de stupéfiants sont estimés à 250 milliards de dollars. Il est impossible qu’une telle pléthore de cash soit mise en circulation sans la complicité des trafiquants avec le secteur bancaire, et la discrétion de l’establishment.
Au vu de tout ce qui précède, on peut se poser des questions sur le sérieux de la lutte contre la drogue qui ressemble plus à une prohibition de façade.
Si l’argent du trafic attise la convoitise des exclus, la drogue est un excellent moyen de juguler toute contestation sociale. Les trafiquants, les dealers et les junkies ne menacent pas l’ordre capitaliste.
MD, le 04 juin 2024