Un projet pour l’acier wallon avant qu’il ne soit trop tard !

 

      Un projet pour l’acier wallon avant qu’il ne soit trop tard  

Xavier Dupret et François D’Agostino

Avril 2013

Lorsqu’en octobre 2012, ArcelorMittal annonce la fermeture de la phase à chaud dans le bassin sidérurgique liégeois, l’heure est à l’émoi. Au bout de deux heures de réunion avec les responsables syndicaux, 360 ouvriers et 220 cadres sont licenciés. Cet épisode douloureux ne constitue que la partie visible du dossier. La phase à froid n’est vraisemblablement pas viable, à moyen voire court terme, sans la phase à chaud. Avec à la clé, la suppression d’une dizaine de milliers d’emplois directs et indirects dans la région de Liège.

Quelques mois auparavant, la direction de Carsid à Charleroi annonçait un plan social particulièrement dévastateur pour le tissu industriel wallon. 1.000 emplois y étaient supprimés. L'accord conclu prévoyait une fin de carrière (prépension) pour les travailleurs âgés de 52 ans en date du 28 mars 2012, date de l'annonce par Duferco de son intention de fermer le haut-fourneau de Carsid.

Restructurations

Cette mesure concernait 440 travailleurs sur un total de 996. Pour les autres travailleurs, l'accord envisageait des primes de départ dont le montant variait en fonction de l'ancienneté. Les perspectives d’une activité sidérurgique consistante à Charleroi sont loin d’être assurées à l’avenir. On parle de l'installation d'un laminoir, propriété du groupe Duferco et actuellement situé en Sicile, qui devrait être démonté puis remonté sur le site carolorégien. Objectif attendu de l’opération : le maintien d’un volume d’emplois se situant entre 80 et 200 ETP (équivalents temps plein) dans un délai de deux à trois ans.

Face à l’ampleur de ce désastre social, la délégation syndicale FGTB envisageait de susciter des collaborations entre les bassins sidérurgiques carolo et liégeois afin de sauver le haut-fourneau. Les exigences du monde du travail ont été clairement balayées d’un revers de la main par les directions tant de Duferco que d’ArcelorMittal.

Patron de Duferco Belgique, Antonio Gozzi s’est montré, dès l’été 2012, particulièrement dissert quant aux causes supposées de la fermeture du site carolo. L’Europe connaît aujourd’hui une surcapacité de 50 millions de tonnes. Parallèlement, le prix du minerai a triplé, et le climat en Europe n’est pas à l’enthousiasme dans l’investissement. La crise, d’abord financière puis économique, est passée par là, qui n’est pas de nature à alimenter l’intérêt de nouveaux investisseurs. Depuis novembre 2008, et sa mise à l’arrêt, le haut-fourneau de Marcinelle occupait encore du personnel à raison d’un rythme d’une semaine toutes les 18 semaines. Ce régime ne pouvait plus durer, a expliqué Antonio Gozzi. Une partie des salaires versés pendant ces 40 mois a été financée par la vente des quotas de CO2 forcément en surplus, un financement qui ne peut se poursuivre plus longtemps sous peine de handicaper plus lourdement encore la structure financière du groupe. L’explication par l’insuffisance de la demande était également mise en avant par les responsables d’ArcelorMittal à Liège.

 

Problème de demande

Une insuffisance de la demande expliquant une rationalisation de l’outil constitue un scénario économique bien connu. Il évoque directement les années trente et la grande dépression qui a caractérisé cette époque. D’un point de vue comptable, il s’accompagne de lourdes pertes au compte de résultats.

Dans le cas de Mittal, les données en ce qui concerne la division européenne sont particulièrement sombres. Il est vrai que la crise profonde du secteur automobile européen a amené la division européenne du groupe à connaître de4 milliards de pertes nettes pour le quatrième trimestre 2012 et de 3,7 milliards pour la seule année 2012.

Dans le cas de Duferco Belgique, les données étaient les suivantes. NLMK La Louvière, présente sur le segment des aciers plats laminés à chaud et à froid, n’a reçu de commandes que pour 1,4 million de tonnes/an au cours des cinq dernières années et pour l’année 2012, il était prévu que la production avoisine les 1,2 million de tonnes alors que sa capacité est supérieure au double (2,6 Mt/an). Les pertes, pour l’année 2012, devaient s’élever à 100 millions d’euros. Le segment des produits longs (Duferco La Louvière) souffrait également de la diminution drastique du marché européen (30%).

Les réponses de Duferco et de Mittal sont claires. Rationnaliser le secteur en fermant des lignes et des unités de production. L’objectif est de rendre compatible la structure de l’offre avec la demande globale. Voilà pour la face émergée de l’iceberg. Les sites et lignes qui vont fermer sont celles qui offrent, dans un contexte de surproduction permanente, les return on equities les plus faibles. Ce sont, par exemple, celles pour lesquelles des investissements utiles n’ont pas été programmés au cours des dernières années.

L’ampleur des restructurations en Europe est énorme. Et le bilan de la crise est terrible. Certes, l'Union européenne reste une puissance industrielle de premier plan. Mais son industrie a perdu 3 millions d'emplois depuis 2008 et enregistré une baisse de sa production de 10 % par rapport aux niveaux constatés avant crise.

A terme, une politique industrielle européenne verra le jour. Une question se pose toutefois. Ne sera-t-il pas trop tard, au train de sénateur où vont les choses, pour l’industrie wallonne ? L’attitude de la direction de Mittal confirme cette hypothèse  inquiétante.

Citons, à ce sujet, Jean-Claude Marcourt. «Les engagements pris par Mittal sont une première avancée mais ils sont aussi totalement insuffisants en ce qui concerne Liège. Mittal confirme certes son intention d'investir 138 millions d'euros pour faire de Liège un centre d'excellence pour l'emballage, les aciers spéciaux et l'automobile ainsi que d'autres dispositions connexes. Mais il ne suspend pas jusqu'alors sa décision de mettre en œuvre le nouveau plan de restructuration annoncé il y a quelques semaines. Alors qu'il eût été plus cohérent et rationnel de suspendre le processus annoncé  à Liège comme à Florange avant le dépôt du plan acier».[1]

 

Nationalisation

Pour ce qui est de Carsid et de Duferco, l’histoire des sites de La Louvière et Charleroi est claire. La convention signée le 1er juillet 2011, entre les groupes Duferco et NLMK disposait clairement que les «  beaux morceaux  » seraient repris par le groupe russe NLMK, à savoir le laminoir de Clabecq, spécialisé dans les tôles fortes, et la partie de l’usine de La Louvière dédiée aux tôles à haute valeur ajoutée pour l’industrie automobile. Le groupe Duferco, qui envisageait alors de se désengager progressivement de la sidérurgie pour se diversifier dans la réhabilitation de sites industriels, dans la logistique et l’énergie, acceptait de reprendre le haut-fourneau de Carsid, à Charleroi, à l’arrêt depuis l’automne 2008, et la partie de l’usine de La Louvière dédiée aux produits longs, dont les sombres perspectives étaient donc envisagées au point d’engager les signataires à mettre en place au cas où un «  plan social conformément à la législation belge.  » La mise à mort du haut-fourneau de Carsid a été définitivement prononcée au printemps 2012, après la vaine recherche d’un repreneur. Celle de l’usine de La Louvière n’est pas encore effective mais le patron de Duferco, Antonio Gozzi, n’a jamais caché son pessimisme. Là encore, les frais de reprise par la puissance publique ne devraient pas être élevés puisque les deux sites sont prêts à être passés par pertes et profits par Duferco.

Pour ce qui est de Mittal, les choses sont plus nettes encore. L’idée de la nationalisation pour un euro symbolique a déjà été émise par une série d’acteurs en région liégeoise. Elle constitue une réponse adéquate en termes de maintien de l’outil entre des mains liégeoises et wallonnes. D’un point de vue strictement conservatoire, ce n’est évidemment pas rien. On peut estimer, en effet, que les intérêts notionnels ont plus que remboursé Mittal du coût d’achat des sites liégeois. L’analyse des comptes annuels déposés par ArcelorMittal à la Banque nationale pour les exercices 2006 à 2010, permet de dresser le constat que l’entreprise a reçu plus d’1,5 milliards de réductions d’impôts grâce au système des intérêts notionnels. C’est vraisemblablement la compagnie qui a le plus profité de ce mécanisme de déductions en Belgique.

Evidemment, ce type de propositions ne garantit pas la pérennité des emplois et des investissements sur les sites qui doivent faire l’objet d’une modernisation. Sur ce plan, il est possible d’innover et apporter sa pierre au débat en proposant la création d’une banque de l’acier en Wallonie. Dans cette optique, miser sur la Caisse d’investissement de Wallonie (CIW) nous semble particulièrement intéressant.

Pour ce faire, nous reprenons les règles de capitalisation qui s’imposent aux banques en vertu des réglementations décidées par le Comité de Bâle. Ces derniers requièrent des banques 4,5% de fonds propres (et 2,5% de matelas de protection supplémentaire à mettre en place d’ici 2019). Un plan d’investissement de 500 millions d’euros pour la sidérurgie wallonne nécessiterait donc une mise de départ égal à 22,5 millions d’euros (pour atteindre 35 millions d’euros d’ici 2019).

Financement

Cette banque de l’acier est donc capitalisable aujourd’hui directement à partir du Plan Marshall. 70 millions d’euros, cela représente un effort de réorientation de 7% du plan Marshall. Comme toutes les banques belges, la banque de l’acier pourrait se financer à partir d’emprunts interbancaires. En empruntant directement à la Banque Européenne d’investissement. Au-dessus de 100 millions d'euros de prêt, la BEI étudie spécifiquement le dossier spécifiquement le dossier et s'il est accepté, la collectivité peut emprunter en direct ou via un établissement bancaire. Par ailleurs, la CIW peut déjà bénéficier de la licence bancaire (dans la catégorie banque d’affaires et d’investissement). La directive européenne DIRECTIVE 2006/48/CE DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL du 14 juin 2006 concernant l'accès à l'activité des établissements de crédit et son exercice dispose, en son article 9, que « les autorités compétentes n'accordent pas l'agrément lorsque l'établissement de crédit n'a pas de fonds propres distincts et lorsque le capital initial est inférieur à 5 000 000 EUR ». Ces deux conditions sont clairement remplies par la CIW.

Si la Région wallonne devait choisir la CIW pour lancer cette opération, il faudrait envisager une recapitalisation de cette dernière à hauteur de 7 millions d’euros. Cette somme permettrait de combler les pertes de l’année 2011. Les comptes 2012 ne sont pas encore disponibles sur le site de la Banque nationale de Belgique. En supposant que l’année 2012 présente le même résultat que 2011, la recapitalisation devra être de 14 millions d’euros. Il est, en effet, difficile de faire élire comme partenaire à un projet de la BEI une entité structurellement déficitaire. On retiendra que la capitalisation de la CIW était de 20 millions d’euros en 2011. L’effort de capitalisation pour pouvoir dégager un volume d’investissement de 35 millions d’euros, l’effort que devrait consentir le gouvernement wallon en termes de recapitalisation serait de 15 millions d’euros. Soit à peine 1% du montant total du plan Marshall.

 

La question que ne manquera pas de poser la BEI concerne le cofinancement de la Région wallonne à un tel effort. Classiquement, la BEI cofinance un projet à raison d’un tiers. Donc le financement de la CIW par la BEI (à raison de 300 millions d’euros) doit entrer correspondre à un cofinancement portant sur les éléments de politique économique contenus dans le budget du gouvernement wallon. En l’espèce, le gouvernement wallon a dépensé bien plus que 300 millions d’euros pour le financement de l’économie wallonne. Puisque les travaux relatifs aux infrastructures (Routes et bâtiments, mobilité et voies hydrauliques) participent au développement économique d’une région, on peut les ajouter aux postes de nature très directement économique que sont « Agriculture, ressources naturelles et environnement » et « Entreprises, emploi et recherche ». Au total, on obtient plus de 3,619 milliards d’euros de crédits distribués pour l’économie dans le budget wallon. Ils sont ventilés de la manière suivante.

Répartition des moyens budgétaires (en moyens d'action) de la Région wallonne - Budget initial 2013,

 

Routes et bâtiments

531 228

         

Mobilité et voies hydrauliques

750 948

         

Agriculture, ressources naturelles et environnement

448 377

         

Entreprises, emploi et recherche

1 888 465

         

 

Source : SPW Wallonie, Répartition des moyens budgétaires (en moyens d'action) de la Région wallonne - Budget initial 2013 (URL : http://spw.wallonie.be/budget/depenses/graphema2013.htm)

Le cofinancement est donc possible. Puisque 500 millions d’euros représentent bien moins qu’un tiers de cette somme. Reste un dernier aspect du dossier à régler Le remboursement des annuités correspondant au prêt consenti par la CIW. Si la Région doit attendre 4 ou 5 ans avant de revendre son patrimoine industriel à un repreneur, il faut que la Région négocie une « grace perio » (période durant laquelle aucun remboursement ne devra être versé par la CIW). Ce type de dispositions existe dans les prêts de la BEI.

D’un point de vue politique, la balle est maintenant dans le camp de l’administrateur belge de la BEI. En l’occurrence, Olivier Henin (directeur de cabinet pour la cellule de politique générale de Didier Reynders).

 

 Service d’études du Parti Communiste :

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Téléphone : 0032494.35.39.34



[1] Journal parlé de la RTBF, 19 février 2013.

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