Interview de Pierre Laurent, président du Parti de la Gauche Européenne
Les vendredi et samedi 30 et 31 mars se tenait à Bruxelles un Sommet alternatif européen organisé par le Parti de la Gauche européenne, qui au travers des différentes interventions des participant(e)s tentait de proposer des alternatives à l’austérité actuellement imposée aux travailleurs des pays de l’Union Européenne. Pierre Laurent, secrétaire national du PCF et président actuel du PGE, nous a accordé un entretien.
1) Dernièrement, la campagne présidentielle française a été quelque peu chahutée par le candidat du Front de Gauche, Jean-Luc Mélenchon. Selon vous, à quoi est-ce dû ? Pensez-vous que la dynamique lancée peut se poursuivre au-delà des élections présidentielles et vraiment changer la donne à gauche en France lors des législatives ?
Pierre Laurent : Je crois que les progrès actuels du Front de Gauche dans les sondages sont le reflet d’un mouvement très profond. Il y a depuis longtemps dans notre pays une majorité possible pour des alternatives de gauche aux politiques d’austérité. On l’avait déjà vu quand les Français avaient voté majoritairement « non » au traité constitutionnel européen en 2005. On l’a vu à nouveau dans le puissant mouvement contre la réforme des retraites de Sarkozy en 2010, mais cette « majorité d’idées et d’action » ne parvenait pas à devenir une force politique capable de s’imposer.
L’élection présidentielle était un danger à nouveau puisque le scénario rêvé par Sarkozy était celui d’une opposition entre lui et le candidat socialiste François Hollande, avec Marine Le Pen en « arbitre » du scrutin. En réussissant à unir les forces d’alternative et en créant l’espoir de bousculer cette situation, nous avons déjà changé la donne, parce que, jusqu’ici, des millions de Français s’apprêtaient à voter pour chasser Sarkozy, avec un doute profond sur la qualité de l’alternative qui allait se mettre en place. Aujourd’hui, avec le Front de Gauche, des millions de gens renouent avec l’espoir que l’élection puisse à la fois permettre de battre Nicolas Sarkozy et d’imposer une politique de gauche conforme aux attentes populaires. Ce qui est frappant, en ce moment, c’est qu’énormément de salariés, de syndicalistes, de jeunes, qui regardaient encore la campagne électorale avec distance investissent celle du Front de Gauche comme la leur. Notre campagne devient très populaire, très jeune et je pense qu’elle aura des prolongements. Elle va changer les résultats et le Front de Gauche peut encore monter par rapport aux sondages. Il est certain que c’est une lame de fond qui va au-delà de l’élection présidentielle, qui va se poursuivre lors des élections législatives en juin et dans les mobilisations sociales. Le Front de Gauche devient non plus seulement une alliance électorale mais un espace d’action et d’idées qui va mettre en mouvement dans la durée une mobilisation populaire.
2) Bien que l’espoir et les chances d’écarter la droite du pouvoir soient grands, Jean-Luc Mélenchon a déclaré à plus d’une reprise que la participation du Front de Gauche à un gouvernement avec les socialistes n’était pas à l’ordre du jour, et qu’elle était même peu probable. Au-delà du potentiel authentiquement progressiste de son programme, ne sommes-nous pas là devant une des faiblesses du Front de Gauche, à savoir un risque non négligeable de ne pas pouvoir le mettre (même partiellement) en œuvre ?
Il est trop tôt pour le savoir. Nous avons trois objectifs dans cette élection. Premièrement, il s’agit de battre Nicolas Sarkozy. Ensuite c’est faire reculer le plus possible le Front National pour écarter le risque de recours à l’extrême-droite par des gens qui seraient désespérés par la situation. Enfin, c’est bien entendu créer un nouveau rapport de forces dans la gauche pour permettre une politique de rupture avec l’austérité. Allons-nous être capables de remplir en même temps ces trois objectifs lors de l’élection présidentielle ? Je ne le sais pas. Je pense que nous allons battre Nicolas Sarkozy, mettre le FN loin derrière le Front de Gauche et, en tout cas, le Front de Gauche est en train de créer la surprise à l’intérieur de la gauche en étant la force qui progresse le plus. Nous verrons jusqu’où. Toutefois, pour le moment, le PS ne prend pas en compte dans son programme cette poussée. Nous avons toujours dit que nous ne participerions pas à un gouvernement qui mettrait en œuvre des politiques d’austérité. En même temps, la défaite de N. Sarkozy créerait une situation nouvelle et si le Front de Gauche a beaucoup progressé lors des présidentielles, toutes celles et tous ceux qui mènent des luttes dans le pays vont être encouragés à amplifier ce mouvement. Serons-nous capables de modifier suffisamment la situation pour rendre possible une nouvelle politique de gauche ? C’est encore trop tôt pour le dire. Nous verrons clairement se dessiner cette première étape de la bataille à l’issue des élections législatives de juin. C’est quand auront eu lieu les élections présidentielles et législatives que nous serons en mesure de voir jusqu’où nous avons été capables d’aller.
3) L’engouement pour la campagne du FdG suscite beaucoup d’intérêt en Belgique. Lors de la « prise de la Bastille » le 18 mars, ainsi que lors du meeting de Lille, des militants belges issus de différentes organisations politiques et syndicales avaient fait le déplacement. On ressent une certaine envie de rompre avec la social-démocratie. Pensez-vous que le modèle du FdG soit « exportable » à d’autres pays européens ?
Un modèle n’est jamais exportable, mais ce qui est certain, c’est que dans tous les pays européens, il y a une urgence à rassembler les forces disponibles qui s’opposent aux logiques d’austérité ainsi qu’aux logiques anti-démocratiques de l’Union européenne actuelle. Il y a une urgence à les rassembler pour créer non seulement des résistances sociales mais également pour constituer des fronts d’alternative politique. Et quelle que soit la forme que cela prenne dans les différents pays en fonction de leur situation, nous avons besoin du dialogue entre les forces politiques, syndicales, sociales et citoyennes disponibles. Chaque pays a besoin de trouver les constructions politiques qui permettent cet espace de convergence centré sur la recherche d’alternatives. Est-ce qu’elles s’appellent Front de Gauche, ou seront-elles une autre forme de rassemblement ? C’est aux forces concernées de le décider dans leurs pays.
4) Au sein du PCF, certains courants ont critiqué le FdG comme étant une étape supplémentaire vers une disparition du PCF. Pouvez-vous commenter cette vision des choses ?
L’expérience est en train de prouver le contraire. Depuis 2008, la majorité du PCF s’est engagée dans cette stratégie de front unitaire puisqu’elle a été décidée dans un congrès la même année. L’adhésion à cette stratégie n’a été qu’en se renforçant depuis cette date et aujourd’hui, je crois pouvoir dire que c’est la quasi-unanimité des communistes qui l’approuvent en France. Nous faisons la preuve que le travail de rassemblement engagé, loin de diluer les forces qui le composent, permet à chacune de se développer. Cela est dû au fait que nous avons défendu précisément une conception du FdG qui respectait les forces qui le composaient. Il ne s’agit pas d’un processus de construction d’un parti unique, mais d’un processus de rassemblement de forces qui respectent leurs différences, tout en décidant de travailler ensemble et de construire des propositions de plus en plus cohérentes.
5) Le Parti de la Gauche Européenne (PGE) défend et promeut le recours à l’initiative citoyenne, cette dernière étant prévue à l’origine dans le Traité de Lisbonne, en vue d’instaurer un fonds européen de développement social et de modifier le rôle de la banque centrale européenne (BCE). N’est-il pas paradoxal d’utiliser une disposition prévue dans un traité aussi contestable ?
Une des caractéristiques de l’approfondissement de la crise européenne actuelle, c’est l’autoritarisme et le fait que la construction européenne est menée en dessaisissant les citoyens, les parlements nationaux et les gouvernements de leur souveraineté. Pour construire une alternative, il faut faire entrer les citoyens et les mobiliser dans le débat européen. Cette possibilité d’initiative citoyenne qui consiste à rassembler un million de signatures dans au moins sept pays de l’Union autour d’une proposition pour obtenir sa mise en débat est à nos yeux une potentialité positive dont il faut se saisir, et le PGE fait la proposition que nous l’utilisions pour porter une proposition qui vise à changer radicalement le rôle actuel de la BCE, qui est au cœur de la crise financière. En effet, la pression des marchés financiers sur les Etats n’est rendue possible que parce que la BCE ne rachète pas leur dette et ne les finance pas directement, les obligeant de la sorte à rester sous la dépendance des banques privées et des marchés financiers. Il faut donc mettre en cause ce rôle de la BCE. Si nous arrivons à mettre en débat une telle proposition et à rassembler un million de signatures autour d’elle, nous ouvrirons un front de lutte décisif contre les logiques actuelles de l’UE, par une méthode démocratique qui serait en opposition radicale avec les diktats actuels imposés par les dirigeants européens, sans possibilité de les discuter. Je crois que cette initiative contribuera à renverser la situation actuelle et à mobiliser les énergies qui voient que la question financière est au centre de la crise mais qui ne savent pas aujourd’hui comment engager la bataille contre les pouvoirs exorbitants de la finance en Europe.
6) Les propositions exposées par le PGE vont dans le sens d’une réforme de l’UE dans le sens, certes louable, d’une plus grande solidarité, d’une plus grande démocratisation… Mais pas dans une logique de rupture. N’y a-t-il pas un certain renoncement envers les principes fondamentaux qui animent une grande part des partis qui constituent le PGE ?
Au cœur de l’engagement communiste, il y a la solidarité internationaliste, résumée par cette formule célèbre : « Prolétaires de tous pays, unissez-vous ! » Mais en ce moment, cela veut dire aussi « prolétaires de toute l’Europe, unissez-vous contre l’Europe des marchés ! ». Notre projet est donc d’unir les peuples européens contre les politiques de dumping social qui les opposent, contre les politiques de confiscation du pouvoir au service des marchés. L’objectif d’une refondation solidaire de l’UE est un objectif à proprement parler révolutionnaire dans la situation actuelle. Si, sous prétexte de combattre cette union, nous acceptions son explosion, chaque peuple et chaque pays serait renvoyé à des rapports de forces internationaux extrêmement difficiles et défavorables. En conséquence, si la lutte doit se mener d’abord dans chaque pays, elle doit aussi combiner un effort de rapprochement des différents peuples européens. Par exemple, l’euro constitue un pouvoir énorme. Le problème, c’est que ce pouvoir est au service des marchés dans l’UE actuelle. Reconquérir le pouvoir sur la manière dont on utilise la monnaie est un enjeu décisif, et la conquête du pouvoir, c’est le sens même de la bataille que mènent les communistes depuis toujours. Je crois donc que nous ne devons négliger aucun des lieux de pouvoir, que ce soit dans les entreprises, dans les nations, et aux plans européens et internationaux. Tout cela va de pair.
7) Le PGE, même s’il rassemble une partie non négligeable de la gauche anticapitaliste en Europe ne fait pas l’unanimité. Certains partis communistes comme le KKE en Grèce, ou le PC portugais n’en font pas partie (bien qu’ils collaborent avec des formations du PGE au sein du groupe parlementaire GUE/ NGL). Et au sein même de certains partis communistes membres du PGE, des voix s’élèvent pour critiquer ce dernier .Quel est votre point de vue à ce sujet ?
Les communistes français n’ont de cesse de dialoguer avec l’ensemble des forces communistes, progressistes et alternatives de l’Europe entière. C’est d’ailleurs un communiste français, Francis Wurtz, qui a pendant des années œuvré pour constituer au parlement européen un groupe, la GUE/NGL, qui rassemble les députés de ces partis et les députés de forces alternatives. Ce groupe est aujourd’hui la seule force qui exprime des positions antilibérales constantes et déterminées au sein du parlement européen. Si ce groupe n’existait pas, il faudrait le constituer. Aujourd’hui, en tant que président du PGE, je n’ai de cesse de dialoguer avec toutes ces forces, qu’elles soient membres du PGE, observatrices ou en dehors, avec l’objectif de travailler dans la durée à des convergences, à des coopérations et, si possible, à la croissance et à l’élargissement du PGE. Je pense que ce travail est loin d’être fini et il est absolument indispensable si nous voulons être capables de créer les rapports de forces dont nous avons besoin dans la situation actuelle, celle d’une crise historique du capitalisme, dans laquelle il n’y aura pas de statu quo. Ou nous serons capables de retrouver le chemin de conquêtes sociales, démocratiques et politiques, ou bien les forces de régression sociale, et parfois même les pires, remporteront des victoires. Nous n’avons donc pas le choix, nous sommes face à nos responsabilités. L’une d’entre elles, l’histoire nous l’enseigne, c’est celle du rapprochement des forces anticapitalistes dans l’UE et dans le combat pour trouver des issues à la crise actuelle.
François d’Agostino