Le prix de la démocratie
Le mercredi 7 mars, La Dernière Heure faisait sa une avec ce qu’elle appelle le gaspillage de «notre» argent par les ministres. Parmi les gaspillages mis en exergue, figure la somme de 150.000€ pour un «meurtre commis en 1950». Ce meurtre, l’article de la page deux le précise, est celui de Julien Lahaut.
Pour La Dernière Heure, la démocratie ne vaut donc même pas 150.000 € .
Car l’assassinat de J. Lahaut à son domicile le 18 août 1950 n’est pas un «simple» meurtre. Il s’agit clairement d’un acte politique contre la démocratie. À ce titre, même si les faits sont anciens, faire toute la lumière sur cet épisode demeure un acte important.
L’assassinat d’un député en fonction est loin d’être un événement banal dans l’histoire d’un pays démocratique. Il mérite que l’on en connaisse les tenants et les aboutissants. Les faits sont connus et plusieurs ouvrages ou reportages les ont détaillés1. J. Lahaut, président du Parti communiste de Belgique, figure emblématique de la lutte syndicale et de la Résistance contre l’occupant Nazi, incarnait tout ce que l’ultra-droite léopoldiste exécrait. L’épisode de la prestation de serment du Prince Baudouin est le signal, le prétexte attendu pour passer à l’action et pousser à la faute les communistes. L’assassinat de J. Lahaut s’inscrit en effet pleinement dans une des périodes «chaudes» de ce que l’on a appelé «la guerre froide».
Cette dépense de 150.000 € n’a donc pas pour objet un énième récit des faits. Elle vise à donner les moyens d’analyser scientifiquement les différents éléments et de tenter d’éclaircir les zones d’ombres qui restent. Mais surtout elle entend fournir des réponses permettant d’expliquer comment, dans un pays démocratique européen, un député peut être impunément abattu devant son domicile sans que les auteurs ne soient inquiétés. Et ne parlons alors même pas des commanditaires! Et si plus de 60 ans après les faits, la volonté subsiste chez certains de faire toute la lumière sur cette affaire, il semble bien qu’il n’en soit pas de même pour tous. En effet, en 2005, le Sénat a refusé de mettre en place une commission d'enquête parlementaire sur l'assassinat du député communiste. Et lorsqu’en 2008, il est décidé de charger le CEGES de mener une étude scientifique sur la question, Sabine Laruelle, ministre de la Politique scientifique, refuse de débloquer les fonds. L’étude ne sera finalement lancée, faut-il le rappeler, que grâce à la mobilisation importante de nombreux militants et acteurs qui ne pouvaient accepter ce silence: grâce à des pétitions régulières, à l’action au parlement de Marie-Thérèse Coenen et au Sénat de Josy Dubié, mais aussi aux nombreuses participations de citoyens à la souscription lancée à l’initiative de l’eurodéputée Véronique De Keyser afin de réunir les fonds destinés à la financer.
Nous ne pouvons donc laisser passer l’affirmation que s’interroger sur un dysfonctionnement de notre démocratie soit un gaspillage. Nous ne pouvons considérer qu’une meilleure connaissance d’un épisode clef de notre histoire soit jugée futile.
Au-delà du cas précis de l’enquête sur l’assassinat de J. Lahaut, c’est bien de la démocratie dont il est question. Et du prix que nous sommes prêts, collectivement, à consacrer à la vitalité de ce système politique déjà bien malmené non seulement dans le monde mais aussi en Europe (Roumanie, Hongrie, Grèce…).
Liste des signataires :
- Marcel Bergen, président du PC-Liège
- Ludo Bettens, directeur IHOES
- Thierry Bodson, secrétaire général IW FGTB
- Nico Cué, secrétaire général MWB FGTB
- Véronique De Keyser, initiatrice de la souscription et députée européenne PS
- Pierre Eyben, coopérative politique VEGA
- Muriel Gerkens, députée fédérale ECOLO
- Marc Goblet, président FGTB L-H-W
- Raoul Hedebouw, porte-parole national du PTB
- Maximilien Lebur et Sylvain Poulenc, membres du collectif Le Ressort
- Paul Lootens, secrétaire général Centrale Générale FGTB
- Anne Morelli, historienne ULB
- Daniel Richard, secrétaire régional FGTB Verviers
- Milou Rikir, archiviste du CArCoB-Archives Communistes
1 Exposition « Noss’ Julien ». Julien Lahaut (1884-1950) de l’IHOES (2000), Rudi Van Doorslaer et Etienne Verhoeyen, L'assassinat de Julien Lahaut, Bruxelles, La Renaissance du Livre, 2010 ; Jules Pirlot, Julien Lahaut vivant, Cuesmes, Editions du Cerisier, 2010.