NOUVELLE FALSIFICATION DE L’HISTOIRE

Publié dans International

Avec indignation nous avons appris que le 15 décembre dernier, les eurodéputés réunis à Strasbourg ont approuvé à la quasi-unanimité (507 voix pour, 12 voix contre et 17 abstentions) un texte qui qualifie la famine survenue en URSS dans la période de 1932 et 1933, de génocide perpétré par le régime soviétique pour liquider le peuple ukrainien par la faim, plus connu sous le nom russe d’holodomor (en russe Famine de la racine « golod », la faim, et « more », la mer). Véritables falsificateurs de l’histoire les eurodéputés estiment que l'holodomor a été commise « par le régime soviétique dans l'intention de détruire un groupe de personnes en infligeant délibérément des conditions de vie menant inexorablement à leur anéantissement physique ».

Une famine décidée ?

Selon les falsificateurs de l’histoire, cet anéantissement du peuple ukrainien  aurait été soi-disant orchestré par le gouvernement soviétique pour réprimer toute velléité nationaliste et indépendantiste de l’Ukraine, et détruire la nation ukrainienne comme ensemble politique et entité propre, en s'attaquant aux paysans en tant que composante la plus nombreuse de sa population. Pourtant, ces pseudo-historiens oublient que lors de la fondation de l’URSS en1922, c’est le pouvoir soviétique qui a tracé les frontières de l’Ukraine en tant que république soviétique en y intégrant le riche bassin charbonnier et sidérurgique du Donetz (Dombass) pour la doter d’un potentiel industriel. C’est à cette occasion que la nationalité et la langue ukrainienne ont été reconnues, alors que dans la Russie tsariste l’Ukraine était considérée comme la « petite Russie »(en russe : malorossia) les ukrainiens comme les « petits russes » et la langue ukrainienne comme du « petit russien ». Enfin, le pouvoir soviétique n’a pas empêché l’Ukraine de devenir membre de l’ONU le 24 octobre 1945, et c’est encore le pouvoir des soviets qui a élargi l’Ukraine en y incorporant le territoire de la Crimée en 1954.

D’autre part les falsificateurs oublient que la grande famine qui a sévi en Union soviétique au début des années 30 n’a pas épargné les populations russes, et bien d'autres peuples de l’URSS.

Famille de koulak posant pour le photographe Goncharov à Novgorod Severskiy en Ukraine vers1900. CC BY-SA 4.0

Les prémices d’une tragédie

En 1925, le 14e congrès du Parti communiste de l'Union soviétique a décidé de faire passer l’URSS de puissance agricole à celle de puissance industrielle. En 1927, le 15e congrès du PCUS décide de lancer le premier plan quinquennal (1928/1933) pour assurer le développement de l’industrie lourde et la modernisation de l’armée rouge. A cette fin, la Russie décida de se tourner vers l’Allemagne avec qui elle avait conclu un accord commercial en 1922(Traité de Rapallo) pour se fournir en équipements industriels. Elle conclura également des contrats avec les Etats-Unis pour permettre la construction d’usines et l’engagement d’ingé­nieurs et techniciens. Les roubles russes n'ayant aucune valeur au niveau international, les fournisseurs étrangers exigeaient que les soviétiques paient leurs achats et service en devises fortes. C’est pour obtenir ces devises qu’à la fin des années vingt, le gouvernement soviétique a décidé d’exporter du blé sur le marché mondial. Dés1930, une énorme quantité de blé soviétique va déferler sur les marchés mondiaux à des prix ridiculement bas au grand dam des fermiers américains.

Il faut savoir qu’en URSS vers 1928, la principale source de richesses est l'agriculture alors en grande partie entre les mains de la bourgeoisie agraire composée de paysans propriétaires, les koulaks (en russe « koulak » signifie « le poing », ou désigne « ceux qui tiennent fermement dans la main ») Les koulaks sont les seuls vendeurs de produits agricoles et comme membres de la bourgeoisie agraire, ils sont des partisans décidés de la libre entreprise, de la propriété privée et du capitalisme et, en tant que tels ils sont ennemis du pouvoir soviétique.

Les koulaks ont profité du pouvoir soviétique pour s'enrichir aux dépens des paysans moins favorisés qu’ils exploitaient souvent comme ouvriers journaliers. En 1927, 70% des terres qui avait été distribuées aux paysans pauvres en 1917 étaient repassées dans les mains des koulaks. L'approvisionnement des villes où résident les ouvriers et les fonctionnaires dépendait avant tout des livraisons par les koulaks qui fixaient les prix des produits agricoles.

Or la politique d’exportation du blé exigeait que l’état reprenne le contrôle de l’économie pour fixer les prix, et investisse dans la modernisation de l’agriculture afin d’augmenter la production. C’est dans ce but qu’à partir de 1929, le gouvernement de l’URSS organisait la collectivisation des campagnes pour mettre en place une mise en commun des terres et du matériel agricole et promouvoir le travail en équipe dans des fermes collectives, les kolkhozes.

« Dégageons le koulak du kolkhoz » Affiche de propagande soviétique (1930). L'encadré : « Les koulaks sont les exploiteurs les plus féroces, les plus brutaux, les plus sauvages : ils ont maintes fois rétabli, dans l'histoire des autres pays, le pouvoir des grands propriétaires fonciers, des rois, des prêtres et des capitalistes ». Lénine

 

Famine, guerre civile et lutte des classes

L'application de ces décisions qui remet directement en cause leur prérogative, va susciter la colère des koulaks qui vont entraîner de larges couches de la population paysanne dans une révolte contre le pouvoir soviétique.

Sous le mot d’ordre d’affamer les villes, les sols ne sont plus entretenus les récoltes sont incendiées, les puits sont empoisonnés et trente millions de têtes de bétail ou d’animaux de trait sont abattus.

 

Ces faits aboutissent à une grave crise alimentaire qui va d’abord toucher les villes industrielles qui ne sont plus approvisionnées et dont les travailleurs seront les premières victimes.

La réquisition des céréales des paysans riches (kulaks) pendant la collectivisation forcée dans le district de Timashyovsky. Photo attrib. U. Druzhelubov, 1933.

Citadins affamés dans une rue de Kharkiv. Photo : Alexander Wienerberger, 1933. Coll. Diözesanarchiv Wien.

Dans ces conditions, le pouvoir soviétique n’aura pas d’autres alternatives que d’envoyer la troupe dans les campagnes pour réquisitionner les vivres afin d’approvisionner les villes. Ces réquisitions vont étendre la famine dans les campagnes laquelle sera aggravée par la sècheresse de 1932 qui va également frapper toute l’Europe.

Elles aboutiront à une véritable guerre civile opposant férocement le pouvoir à la classe des koulaks et leurs alliés, qui donneront lieu à des massacres perpétrés de part et d’autre, et à une impitoyable répression.

Conclusions

Tout d’abord, nous rappelons aux eurodéputés que l’histoire est une science qui doit être interprétée par les historiens, dont la majorité est loin d’abonder dans leur sens. Il en va de même pour l’organisation des Nations Unies ONU qui ne reconnait pas le caractère génocidaire de cette famine.

 

Les eurodéputés devraient se demander quel intérêt aurait eu le gouvernement soviétique, dont une partie des membres étaient ukrainiens, à organiser le génocide de la population ukrainienne dont les bras étaient indispensables à une époque où l’agriculture était très peu mécanisée. Une époque qui exigeait d’augmenter la production de denrées pour assurer le ravitaillement des villes et des travailleurs de l’industrie en plein essor.

Un homme, une femme et un enfant, morts de faim. Photographe inconnu, fin 1921 (également présentée comme « Victimes de l’Holodomor à Saratov »).

Ils devraient se rappeler qu’en 1921, l’agression de la Russie soviétique par une coalition impérialiste unissant la France, le Royaume-Uni, la Pologne, la Tchécoslovaquie, les Etats-Unis et le Japon, ont causé une famine qui a fait 5 millions de victimes dans le centre de la Russie. Dans ce cas, on ne parle pas d’un génocide mais de « dommages collatéraux ». La majorité des euros-députés n’a d’autres buts que l’entretien de la désinformation générale et la russophobie. Ils manipulent la mémoire histo­rique pour épargner une institution européenne éclaboussée par des scandales, et défendre un capitalisme de plus en plus remis en cause.

Ainsi derrière le louable souci de construction et de réconciliation européenne, la remise en cause de la commémoration du 8 mai 1945 contribue à oublier qu’elle fête la victoire sur le nazisme dans laquelle la Russie soviétique et le mouvement communiste ont payé le plus lourd tribut. De la même manière, la condamnation du pacte germano-soviétique, qui amalgame scandaleusement le nazisme et le communisme, cache une volonté d’occulter le scandale de la conférence de Munich (dite « de la paix ») où la France et le Royaume uni ont confirmé leur connivence avec Hitler en lui offrant la Tchécoslovaquie.

Nous laisserons le dernier mot à l’eurodéputé du PTB Marc Botenga qui a eu le courage d’aller à contre-courant en refusant de voter ce texte :

« Imposer une version de l’histoire – contre les discussions entre historiens – sert des fins politiques. C’est extrêmement dangereux. Cela étouffe les appels à une solution diplomatique à la guerre en Ukraine, et rend plus probable une escalade possiblement nucléaire du conflit. Dans un contexte de montée de l’extrême-droite partout en Europe, ceci contribue à mettre sur le même plan les communistes, qui ont vaincu le nazisme et ont été de tous les combats démocratiques de la classe travailleuse, et les fascistes. Nous ne pouvons pas accepter cela ».

Marc Denonville

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