LES PROFONDS REGRETS DES 60 ANS APRÈS

Publié dans International

Vôte de confiance de la chambre des représentants du Congo à l'égard du gouvernement de Patrice Lumumba,
le 24 juin 1960 (Congopresse photo (1960): Léopoldville)

Le 30 juin 1960, dans une ambiance festive au son d’« indépendance Tcha-tcha » le Congo accédait à l’indépendance.

Lors de la séance inaugurale tenue à Léopoldville (Kinshasa), dans un discours dithyrambique sur le Congo belge, le roi Baudouin considère l'indépendance comme l'aboutissement de « l’œuvre » que le Roi Léopold II avait entreprise avec un courage tenace. Une œuvre continuée avec persévérance par la Belgique qui, pendant 80 ans, « a envoyé les meilleurs de ses fils, pour délivrer le bassin du Congo de l'odieux trafic esclavagiste ». Il encense ceux qu’il qualifie de « pionniers de l'émancipation africaine » et ceux, qui après eux, ont fait du Congo « ce qu'il est aujourd'hui ». Il définit le colonialisme comme une œuvre « civilisatrice » qui mérite « notre admiration et la reconnaissance des congolais ». Il glorifie ceux qui ont consacré tous leurs efforts et même leur vie à ce « grand idéal ». Il en conclut que l’indépendance est le couronnement de la « grande œuvre » de Léopold II qu’il qualifie de « civilisateur et non de conquérant ».

Le discours du premier ministre Patrice Lumumba fut un peu plus nuancé en rappelant que l’indépendance résultait avant tout de l'aboutissement d’une lutte noble et juste mais faites de larmes de feu et de sang indispensable pour mettre fin à l'humiliant esclavage, qui était imposé par la force.

Il témoigna du sort réservé au peuple congolais en 80 ans de régime colonial dans ces termes :

« Nous avons connu le travail harassant exigé en échange de salaires qui ne nous permettaient ni de manger à notre faim, ni de nous vêtir ou de nous loger décemment, ni d'élever nos enfants comme des êtres chers. Nous avons connu les ironies, les insultes, les coups que nous devions subir matin, midi et soir, parce que nous étions des nègres. Qui oubliera qu'à un noir on disait « Tu », non certes comme à un ami, mais parce que le « Vous » honorable était réservé aux seuls blancs ? »

« Nous avons connu nos terres spoliées au nom de textes prétendument légaux, qui ne faisaient que reconnaître le droit du plus fort, nous avons connu que la loi n'était jamais la même, selon qu'il s'agissait d'un blanc ou d'un noir, accommodante pour les uns, cruelle et inhumaine pour les autres. »

« Nous avons connu les souffrances atroces des relégués pour opinions politiques ou croyances religieuses : exilés dans leur propre patrie. »

« Nous avons connu les ironies, les insultes, les coups que nous devions subir matin, midi et soir parce que nous étions des nègres. Nous qui avons souffert dans notre corps et dans notre tête de l’esprit colonialiste, nous vous disons : tout cela est désormais fini. »

« nos blessures sont trop fraîches et trop douloureuses encore pour que nous puissions les chasser de notre mémoire. »

Furieux et outré, il s’en fallut de peu pour que sa majesté Baudouin Ier plie bagages et rentre à Bruxelles. Le roi et son gouvernement ne tarderont pas à manifester leurs intentions néo colonialistes vis-à-vis du Congo indépendant, les événements qui vont se précipiter en attestent. 

Le 12 aout 1960, la Belgique signe un accord, reconnaissant de facto l'indépendance de la province du Katanga placée sous le gouvernement fantoche de Moïse Tschombé. Alors que le gouvernement de Lumumba décide de réagir, l'ONU impose militairement un cessez-le-feu, empêchant les troupes congolaises d’intervenir au Katanga. Le roi qui se félicite de l’événement est tout éloge pour Tschombé à qui il donne du « Monsieur le Président » comme s’il s'agissait du chef légitime d’un Etat reconnu internationalement. Il se dit « très sensible aux sentiments d’attachement que Tschombé éprouve pour la Belgique et sa dynastie ». Derrière Tshombé, il y a des officiers belges, comme le major Gui Weber, un des chefs belges de la petite armée sécessionniste katangaise et conseiller militaire de Tschombé. Mais il y a aussi l’Union minière du Haut-katanga filiale de la société générale de Belgique…

Le 26 aout, le directeur de la CIA Allen Dullesö indique à ses agents à Léopoldville au sujet de Lumumba : « Nous avons décidé que son éloignement est notre objectif le plus important et mérite grande priorité dans notre action secrète ». Des archives de le CIA déclassées en 2007 attestent d’un plan des USA pour assassiner Lumumba.

Le 14 septembre 1960, sous l’instigation de la Belgique et de la CIA, un certain Mobutu, chef d’état major de l’armée congolaise renverse le gouvernement et assigne Lumumba à résidence. Derrière Mobutu, il y a le chef de l’antenne de la CIA Devlin, le colonel belge Marlière et le mercenaire Bob Denard.

Le 6 octobre 1960, le ministre belge des Affaires africaines d’Aspremont Linden adresse un telex au chef de la Mission technique belge à Elisabethville indiquant que « l’objectif principal à poursuivre dans l’intérêt du Congo, du Katanga et de la Belgique est évidemment l’élimination définitive de Lumumba ».

Dans une lettre datée du 19 octobre le major Gui Weber informe le cabinet du roi Baudouin que Mobutu et Tschombé s’entendraient pour élimi­ner Lumumba « si possible physiquement ». 

La réponse de Baudouin qui ne traite pas directement de l’assassinat est néanmoins consi­dérée par la commission d'enquête parlementaire comme une approbation implicite du plan élabo­ré pour éliminer Lumumba. Rappelons qu’après une tentative de fuite, Lumumba sera capturé par Mobutu et transféré au Katanga avec la compli­cité belge où il sera massacré avec ses partisans Maurice Mpolo et Joseph Okito le 17 janvier 1961 en présence de Moïse Tschombé et de quatre de ses collaborateurs belges. Ensuite des agents secrets belges seront chargés de découper les corps pour le dissoudre dans de l’acide.

Patrice Lumumba, 27 déc. 1960, Photographe inconnu

Plusieurs des partisans de Lumumba seront exécutés dans les jours qui vont suivre, avec la participation de militaires ou mercenaires belges.

Tschombé lance alors la rumeur selon laquelle Lumumba aurait été assassiné par des villageois. Ceci déclenche une insurrection parmi la population paysanne, qui prend les armes sous la direction de Pierre Mulele, ancien ministre de l’Éducation avant d’être écrasée par l’armée de Mobutu, soutenue par la Belgique et des mercenaires sud-africains.

Même s’il vaut mieux tard que jamais, au vu de ce qui précède, « les plus profonds regrets » pour les « actes de violence » et les « souffrances infligées au Congo léopoldien puis belge » expri­més par le roi Philippe à l’occasion du 60me anniversaire de l’indépendance du Congo sonne faux devant ce qui fut un véritable crime d’état.

Marc Denonville, secrétaire politique de la fédération de Liège

Jean Fagard, Porte -parole du Bureau politique

Sources :

Commission parlementaire sur l’affaire Lumumba.(2001-2002)

Ludo De Witte : L’assassinat de Lumumba (Karthala 2000)

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